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Interview d'

Isabelle Merlet

(1999)

Isabelle Merlet, bonjour et tout d'abord merci de participer à l'association FABBLE ; grâce à vous, les adhérents mais aussi les internautes vont pouvoir découvrir une facette de la bande dessinée encore trop peu méconnu à notre goût : la mise en couleurs.

1 Beaucoup de nos lecteurs ne vous connaissent pas alors pouvez-vous nous parler un peu de vous ?
Quelle formation avez vous faite ?
Comment êtes-vous venue à la bande dessinée ?
Faites-vous d'autres travaux en dehors de la BD ?


Je ne suis pas quelqu'un de bavard.
Néanmoins, je peux vous dire que ma rencontre avec la bande dessinée a été le fruit du hasard. Un ami m'a demandé si je pouvais travailler avec lui sur les couleurs de son premier album, j'ai dit oui. Ensuite des auteurs de Zenda, Glénat, Dargaud, Delcourt, Vents d'Ouest, Soleil m'ont posés la même question, à chaque fois où presque j'ai répondu oui.
Aujourd'hui seulement je commence à avoir l'impression de maîtriser un peu la difficulté de l'exercice.
Il n'existe aucune formation de coloriste de BD, il faut essayer, se planter, réessayer et voir comment les choses avancent.

2 Êtes-vous une passionnée de BD ?
Quels sont vos goûts dans ce domaine ?


Aussi surprenant que cela puisse paraître je ne suis pas une " passionnée " de BD et cela a certainement à voir avec le fait que je suis passée à côté lorsque j'étais gosse.
J'étais entouré de bouquins lourds, volumineux, des encyclopédies sur à peu prés tous les sujets possibles, mais hors mis l'intégrale des aventures de tintin, point de BD !
Aussi je me suis tournée vers la peinture, la littérature, le théatre, bref des modes d'expression suffisamment nobles pour que des universitaires s'y collent !
Par la suite, le déclic ne s'est jamais produit et mon champ d'intérêt est limité à quelques auteurs parmi lesquels on trouve Mac Kay, Breccia, Nine, Hergé, Tardi, Cabanne, De Crecy, David B, ou Christophe Blain.

3 Comment se passe la relation dessinateur-coloriste ?
Avez-vous des directives précises sur les couleurs ou vous laisse-t-on toute latitude dans la colorisation de l'album ?

C'est une relation qui n'est pas simple, où il s'agit de satisfaire les exigences et les goûts du dessinateur et les nôtres sans que la qualité ne soit compromise.
Au départ d'une série le coloriste fait souvent 2 planches d'essai pour vérifier qu'il soit bien en phase avec le graphisme, l'ambiance générale de l'album et dans un bon ressenti du scénario. Ensuite on avance en discutant de chaque séquence, mais je n'ai jamais eu précisément de " directives " concernant le choix des couleurs. Il s'agit plutôt d'informations sur certains éléments du dessin ou sur le déroulement de l'histoire ( rupture, flash-back …).

4 Comment avez-vous rencontré les différents dessinateurs avec qui vous travaillez ?

Par téléphone.

5 Avez-vous déjà eu des mécontentements de la part de certains dessinateurs ?

Vous voulez dire pour l'ensemble d'un album ? Certainement, mais personne ne m'en a rien dit. Lorsqu'une case ou une page ne plait pas, j'écoute pourquoi et je recommence si je pense pouvoir faire mieux. Ca fait parti du travail, je recommence souvent pour moi, pour essayer de trouver la meilleure solution donc ça ne me pose pas de problème de le faire à la demande de quelqu'un avec qui je travaille.

6 Pourriez-vous nous expliquer sommairement pour les adhérents non initiés, la façon dont vous procédé pour coloriser l'album ?

Je travaille par séquence, en essayant de créer une ambiance spécifique pour chacune.
Ensuite page par page, je cherche les éclairages qui vont me permettrent de donner le plus de profondeur et de mouvement au dessin. Le choix de la couleur est très instinctif, j'ai du mal à en parler de manière théorique même si certains accords ou contrastes reviennent régulièrement. Le plus important pour moi, c'est de trouver la mise en couleur qui soit la mieux adaptée au travail du dessinateur.

7 Le fait de travailler sur des bleus, est-ce quelque chose qui vous rassure ou vous sentiriez-vous plus à l'aise pour travailler en couleur directe ?

Le bleu n'est pas là pour rassurer le coloriste mais pour lui permettre de faire sa mise en couleur sans " toucher " au dessin. Le principe du bleu est de séparer le trait de la couleur, il s'agit d'une reproduction ( au format d'impression de l'album) des planches du dessinateur. Je met donc en couleur ce tirage papier qui est accompagné d'un transparent sur lequel on a imprimé en noir la planche. En superposant les deux éléments on voit apparaître le dessin et sa mise en couleur.
Si je travaillais en couleur directe, le dessinateur serait obligé de refaire son encrage car la couleur viendrait recouvrir son trait, en tout cas l'atténuer. Sans compter qu'il n'y aurait aucun droit à l'erreur.

8 En tant que coloriste, que pensez-vous de la mise en couleur par ordinateur ?

Du bien, dans la mesure où la personne qui est devant l'ordinateur est un bon coloriste.
L'ordinateur n'est qu' un outil et je trouve que l'on commence tout juste à s'en servir pour faire autre chose que du dégradé ultra mécanique. J'aime beaucoup le travail de la couleur sur le dernier Monsieur Jean de Dupuy et Berberian et sur l'album de Jodo et Beltrand.


9 D'une manière plus générale et après 8 ans et une vingtaine d'albums colorisés, quel regard portez-vous sur la bande dessinée francophone ?

Vaste programme ! Je dirais simplement qu'à l'intérieur du support bande dessinée il y a quantité de genres qui ne m'accrochent absolument pas (Héroic fantaisie, S F, Historique à la sous - Juillard ...). Ma curiosité va plus naturellement vers des albums qui ont souvent du mal à trouver leur place dans les classifications des libraires.
A vrai dire j'ouvre plus facilement un album de l'Association qu'un album Soleil qui aura tendance à me tomber des mains après la deuxième page. Cette remarque n'a rien de méprisant pour le travail des auteurs Soleil, je pense simplement qu'il manque de surprise. Et c'est cette absence là qui est critiquable. Je trouve dommage que dans un espace tel, avec aussi peu de contrainte ( il n'y a pas encore d'annonceur en 4ème de couverture ! ? ) il y ait autant de produits formatés à la manière des séries télé. Il semble évident que le souci commercial bride la création. Combien de tome 10, 11 ou 12 ont réellement quelque chose à dire. Qui donnerais son " ici-même " (Forest- Tardi) pour le dernier Astérix ?

10 Vivez-vous du métier de coloriste ?

Oui, entre autres choses… Pour vivre correctement de la bande dessinée il faut soit produire beaucoup - je ne le souhaite pas - soit vendre suffisamment d'albums pour percevoir des droits d'auteur - et pour un éditeur, négocier des droits d'auteur avec un coloriste n'est pas du tout une démarche naturelle !

11 Y-a-t-il des albums plus rémunérateurs que d'autres ou est-ce fonction de la notoriété du coloriste ?

Non, il y a un prix par page qui varie sensiblement selon les éditeurs et la difficulté du travail.

12 Le métier de coloriste, comme celui de dessinateur, est un métier de solitaire, est-ce par besoin de rencontrer du monde que vous faites des animations en milieu scolaire et bibliothèque, ainsi que des ateliers au forum FNAC ?

Pour les ateliers peinture de la fnac, qui est une activité très différente de la mise en couleur, il ne s'agit pas tant de sortir de la solitude que d'avoir un échange stimulant avec les enfants. Ils ont la capacité de faire les choses sans préméditation et la question du " bien fait " ne les taraude pas encore. Et pour l'adulte que je suis, ce dégagement est vraiment fascinant.
Les animations dans les écoles sont beaucoup plus pédagogiques, j'apprends aux enfants à mettre en couleur leurs dessins avec la technique d'encres aquarelles, c'est très compliqué pour eux de se concentrer autant mais ils adorent voir leur dessins prendre du volume avec une ombre bien placé.

13 Quels sont vos projets pour le futur ?

La suite de "La croix de Cazenac" et le tome 4 du "Chant des Stryges".

14 Etes-vous interessé pour effectuer vos propres dessins et sortir votre album en solo ou avec un scénariste ?
Si oui dans quel style graphique aimeriez-vous travailler ? peut-être avez vous même des idées précises du genre d'albums BD auxquels vous aimeriez participer ou faire ?


J'aimerais beaucoup commencer à publier mes illustrations, je vais d'ailleurs me mettre en quête d'un agent.
Par contre je n'ai pas pour l'instant l'envie de faire un album, c'est un peu comme si j'imaginais escalader l'Everest en tee shirt et basket…

15 Enfin, pouvez-vous nous donner vos impressions sur le prix "coup de cœur en couleurs " que vous avez reçu le dernier week-end du mois de mars au festival BD en bordelais d'Artigues ?
Est-ce que ce prix, bien que récent a eu des retentissements sur vos contacts avec les dessinateurs et éditeurs ?


Non. C'est un prix qui a fait très plaisir aux gens qui me l'ont remis, mais il n'aura aucune incidence sur mon travail. Et tant mieux, c'est plutôt rassurant de se dire qu'il ne suffit pas d'avoir un prix pour avoir du boulot. Je suis absolument contre l'idée de la récompense dans le cadre d'un travail.

Nous vous remercions d'avoir bien voulu répondre à notre questionnaire et espérons pouvoir poursuivre notre collaboration dans un avenir proche.