Logo de l'association par Eric Stalner

Interview de

Jean-Claude Cassini

(2000)

1 Comment êtes-vous venu à la bande dessinée ?

Par hasard ! … Du moins, presque par hasard… Gamin, j'ai toujours été passionné par la B.D., j'allais faire dédicacer mes albums au festival d'AIX EN PROVENCE, à l'époque. Je me trimbalais, au lycée, avec mon carton à dessin sous le bras, avec des planches de guerre et de western, une horreur ! Si je me souviens bien ; Un pote, collectionneur fou de B.D., avec qui d'autre part, j'allais bouquiner des heures entières dans les librairies, au lieu d'aller en cours. Donc cet ami m'écrivait de petits scénarii, que je mettais en images, en " pompant " de grands dessinateurs.
Nous n'avions peur de rien, le culot de la jeunesse sûrement, puisque nous avions pris rendez-vous, un hiver, pendant les vacances scolaires, à PARIS chez DARGAUD et à la rédaction du canard "A SUIVRE ". (je ris…)
Puis j 'ai fais 3 ans d'arts appliqués à MARSEILLE, on se prenait tous pour VAN GOGH ou PICASSO !
La fin des examens est venue, j'avais définitivement enterré ma vie de dessinateur de Petit MICKEY. J'ai trouvé du boulot, comme graphiste, aux éditions EN DIRECT, dans la région de MARSEILLE. J'ai bossé "là-bas dedans ", pendant plus de huit ans, jusqu'à un soir du 10 octobre 95, où j'ai pété un câble, le job n'était plus fait pour moi…
Deux ans auparavant, une copine m'avait poussé à envoyer différents dossiers chez plusieurs éditeurs. A l'époque, je n'avais eu aucune réponse. En quittant mon job de graphiste, la chance m'a souri, enfin si on peut dire… J'ai commencé à bosser pour le TEMERAIRE. J'ai réalisé chez eux 2 bouquins (très mauvais graphiquement), ils avaient alors une collection qui s'intitulait "Histoires des Grandes Villes de France ". J'avais presque terminé le troisième, qu'ils décidaient d'arrêter la série. À nouveau à la rue, j'envoyais un dossier chez SOLEIL, j'avais entendu parler d'une jeune maison d'édition de la région, qui montait…
Quelques jours plus tard, j'avais un message sur mon répondeur : Mourad BOUDJELLAL voulait bien me rencontrer…

2 Que vous ont apporté vos années passées en tant que graphiste ?

Mes années de graphiste ? … Dans un premier temps, je me suis bien éclaté ! Je passe naturellement sur les problèmes, d'incompatibilités et autres, que comporte la vie d'entreprise. C'est un job que j'aime bien ! Je crois que dès qu'il y a création, j'apprécie…
Donc ce que m'ont apporté mes années de graphiste, je vais peut-être dire des banalités, je crois, c'est la force de croire en son travail et de pouvoir en parler, le défendre, avoir les arguments pour vendre le truc… Attention, tout en gardant les pieds sur terre, naturellement.

3 Quels sont les dessinateurs qui vous ont le plus influencé ?

Ouf ! … Vaste question…
Je crois que j'ai commencé à lire de la BD avec "TINTIN " et "ASTERIX et OBELIX "… (albums achetés, à cette époque, par ma mère au supermarché, 16 Francs…Je me souviens !). Mais également tous les Petits Illustrés tel que " BLEK LE ROC ", " RODEO ", " CAPTAIN SWING ", etc… Les conneries américaines : " Journal de MICKEY ", " MICKEY PARADE " et Compagnie… Puis, je suis passé à " PIF ", c'est là où j'ai découvert " RAHAN ", puis " SPIROU " et le journal " TINTIN " etc…etc…et un été, chez un cousin, j'ai découvert les aventures du lieutenant " BLUEBERRY " avec " FORT NAVAJO ", et à partir de là, je suis entré dans une boulimie, et plus particulièrement du western : GIRAUD, VANCE, HERMANN, JIJE, DERIB, SWOLFS, RAMAÏOLI, BLANC-DUMONT… On ne peut pas tous les citer…
Mais celui qui m'a le plus influencé, celui qui m'a peut-être donné l'envie de faire de la B.D., c'est incontestablement Jean GIRAUD, j'ai retrouvé dernièrement des dessins format A4, où je pompais les vignettes des albums de BLUEBERRY. J'aime son trait, sa souplesse de dessin, son espace à l'intérieur des vignettes, ses personnages toujours bien campés… C'est peut-être commun aujourd'hui comme maître spirituel, mais tant pis…

4 Parmi les jeunes dessinateurs actuels, lesquels vous impressionnent le plus ?

Là, vous me posez une colle ! Vous n'allez pas me croire, c'est terrible, mais depuis que je fais de la B.D., je n'en lis plus. Je ne sais plus lire un album, en lecteur passionné, je le passe au peigne fin, je décortique le dessin.
Mais je vais quand même répondre en partie à la question… J'apprécie, aujourd'hui, le coup de patte de Jean-Louis MOURIER, qui dessine avec une facilité déconcertante, je craque surtout pour ses gouaches. J'ai découvert, un jour en librairie, un carnet d'esquisses de Claire WENDLING, Superbe ! J'aime BERTHET pour son côté "Ligne Claire ", si j'ose dire, et ROSSI et JUILLARD me touchent, mais peut-on parler de jeunes dessinateurs ? J'en oublie peut-être un, qui serait VARANDA, qui me fait craquer pour la richesse de ses crayonnés.

5 Êtes-vous un grand lecteur de bandes-dessinées ? Regardez-vous le travail de vos collègues ?

J'ai répondu en partie, à la question précédemment. Un grand lecteur de B.D., non ! …
C'est assez paradoxal, depuis que je fais de la B.D., je me suis jeté, avidement, sur la littérature, je n'arrête pas de bouquiner.
En dessinant, tous les jours et à tous moments, je fais une overdose d'histoires illustrées. Je me tiens quand même au courant de ce qui se fait (pas tout, c'est impossible…) mais, il est exact, que le travail de mes collègues m'intéresse beaucoup…J'admire toujours, ce que je ne suis pas capable de réaliser…

6 Quels souvenirs gardez-vous de votre passage aux éditions "le TEMERAIRE " ?

La question à ne pas poser ! De très mauvais souvenirs… Surtout sur la fin de notre collaboration. Au départ, c'était sympa… Je découvrais les ficelles du métier, je n'avais jamais fait de B.D., ça m'éclatait… Puis au fil des mois, l'ambiance s'est détériorée, la réputation du TEMERAIRE est de ne pas payer ses auteurs, n'importe queldessinateur qui a bossé avec eux, vous le dira ! Il fallait se battre au téléphone pour avoir son petit chèque… Je leur écrivais des tas de courriers, nous avions des engueulades, quand j'arrivais à les joindre, bien sûr… La date de paiement arrivait, et plus personne ne répondait au téléphone.
Mais, je crois que cela ne sert à rien de s'étendre plus longtemps… La seule expérience que j'en tire, il faut toujours tirer un point positif de la galère, c'est le pied à l'étrier. Mon travail avec le TEMERAIRE a été un apprentissage, un rodage en quelque sorte, deux bouquins réalisés, (un non terminé) et distribués en très peu d'exemplaires, bien sûr, une étape avant d'accéder à autre chose.

7 La série "Tequila Desperados ", qui vous a fait connaître du grand public, c'est terminé ?. Pouvez-vous-nous en parler un peu ?

Question qui fâche également ! Les "Tequilas " sont pour l'instant en "Stand-By ". Motif : incompatibilité d'humeur entre Richard MARAZANO, le scénariste, et la maison d'édition… . Et moi, entre les deux, je paye les pots cassés ! Mais l'histoire n'est pas terminée…

8 Comment s'est passé votre rencontre avec Georges RAMAÏOLI ?

La rencontre avec Georges est simple, lorsque j'ai rencontré Mourad, pour la première fois, il a envoyé un dossier, me concernant, à Richard mais également à Georges. Mais quand ce dernier m'a téléphoné, je venais de m'engager auprès de Richard 3 jours auparavant. Ce n'est pas allé plus loin…
Je vous avoue que j'étais déçu et ému, pensez-vous, Georges RAMAÏOLI me passe un coup de fil… à moi…Auteur que je lisais et que j'admirais déjà… lorsque j'étais ado… Donc, quelques mois après, et pendant la naissance du Tome 1 des Tequila, je l'ai rappelé, j'ai pris rendez-vous et je suis allé le trouver chez lui, pour bavarder et faire connaissance… Georges m'a parlé du scénario de "Bouffe-Doublon ", j'ai fais des essais, des recherches, puis j'ai insisté auprès de Mourad, pour commencer une nouvelle série, et aujourd'hui 2 tomes sont sortis, et le troisième est en cours de réalisation.

9 Comment travaillez-vous avec G. RAMAÏOLI ?

Le travail avec Georges, c'est le paradis ! Presque toutes les semaines, je reçois 3 ou 4 planches d'avance, textes et story-board… C'est carré ! Nous nous voyons assez souvent sur les salons ou autres festivals B.D., je lui montre les planches et nous discutons du boulot en cours.

10 Sur "Tequila Desperados " vous travaillez en couleur directe, seriez-vous tenté de travailler ainsi sur la suite de "Bouffe-Doublon " ou sur une nouvelle série ?

Vous voulez un scoop ? Le tome 3 de BOUFFE-DOUBLON est en couleur directe. J'aime mettre en couleur mes dessins, quand je crayonne, j'imagine les ambiances de chaque vignette… J'explique cela, en détail, au coloriste et le rendu n'est jamais celui que je souhaitais. Conclusion, j'en suis toujours mécontent.
Mon travail au noir, n'est pas bon. Mon encrage, n'a pas de "pêche " ! Je perds la force du crayonné en allant trop loin dans le détail, de plus mon encrage est au pinceau, donc souple, et apporte un côté "vieillot " à mon dessin, moins de dynamisme. La couleur directe, me permet d'alléger mon dessin, je traduis beaucoup de choses à la couleur, je pense aux ombres surtout, j'enrichis ma vignette par des jeux de nuances d'une même couleur, et je finis par un cerné noir, tout simple. Ce qui, je pense, n'alourdit pas du tout mon dessin et conserve un certain dynamisme.

11 Pourquoi avoir arrêté la collaboration avec Jean-Jacques CHAGNAUD après le tome 1 de "BOUFFE-DOUBLON " ? Êtes-vous satisfait du travail de Jocelyne CHARRANCE sur le nouveau tome ?

Bien, pourquoi avoir arrêté la collaboration avec Jean-Jacques ? Dans un premier temps, c'est un monsieur que je ne connais pas, seulement par téléphone. Je précise cela, car j'aime bien rencontrer mes collaborateurs. C'est la maison d'édition qui a décidé que ce serait Jean-Jacques qui mettrait en couleur le tome 1 de "Bouffe-Doublon ". J'ai reçu les premières planches, c'était pour moi un peu fade, mais cela convenait dans l'ensemble. Sur le bouquin, Mourad était impatient, il a brusqué tout le monde pour le sortir. Je n'ai pas pu contrôler plus de la moitié des planches, et ma surprise a été grande lorsque j'ai découvert la mise en couleur, à la parution du bouquin. J'ai trouvé ça délavé, terne et sans effets.
Sur le tome 2, nous avons décidé, Georges et moi de bosser avec Jocelyne, ils se connaissent bien tous les deux, c'est Jocelyne qui fait la mise en couleur sur tous ses albums. Habitant non loin de chez moi, Jocelyne est venue à la maison et nous nous sommes rencontrés.
Chaque quinzaine, je recevais les planches couleurs pour que je puisse contrôler, je me permettais, parfois, de retoucher deux ou trois vignettes avant que cela parte au bureau, chez "SOLEIL ". La collaboration s'est effectuée sans problème, mais mon envie de "couleurs directes "continuait à me titiller. J'ai fait le "forcing " auprès de Mourad, qui a accepté au bout de quelques temps. Mon avis sur le tome 2 ? Je le préfère au tome 1, c'est certain, ça "pète " plus ! Voire trop parfois. Mais je pense que l'intensité des couleurs a été augmentée lors de l'impression du bouquin. Ce qui donne parfois des vignettes un peu "pop "(selon l'expression de Serge FINO !). Mais c'est sympa, quand même. Comme vous le voyez, je ne suis jamais content. Résultat des courses, il vaut mieux que je fasse mes couleurs, si au final ce n'est pas bon, je ne pourrais m'en prendre qu'à moi-même.

12 Quels sont vos futurs projets ?

Mes futurs projets ? Pour l'instant, le tome 3 de " Bouffe-Doublon ". Puis sûrement la suite de ses aventures.
Peut-être une nouvelle série, avec Georges sûrement, il m'en a parlé un soir, autour d'une table, et le sujet m'a intéressé, mais je n'en dis pas plus pour l'instant.
Et qui sait… la suite des Tequila…

13 Souhaiteriez-vous faire du scénario ?

Pourquoi pas ? Il est vrai que j'ai la tête emplie d'idées de toutes sortes, récits, contes que je souhaiterais bien mettre en images. Dans un premier temps, à tester sur moi, si j'ose dire. Puis pourquoi pas pour d'autres dessinateurs.
Le problème est que ces aventures seraient plutôt du genre intimiste…Moins grand public. Cela peut paraître paradoxal. J'aime la B.D. classique, et mes idées de récits sont plus littéraires. Je lis, sûrement, trop de romans.
Dernièrement, j'ai craqué pour le "Sursis " de GIBRAT, j'appelle ça de la Bande Dessinée intimiste, enrichie, de plus, par un dessin d'une grande douceur et d'un grand talent ! (C'est mon avis personnel). Mais, je trouve, les éditeurs un peu frileux sur ce genre d'histoire. Peut-être que les passionnés de B.D. préfèrent des histoires, où des mecs avec des biscottos comme ça, se tapent sur la gueule et se réconfortent dans les bras de Pin-ups sexys avec un gros cul et des gros seins… Mais est-ce la demande du lecteur ou le choix de l'éditeur ? … De plus, mon plaisir serait de créer une collection d'albums contenant plusieurs histoires, comme des recueils de nouvelles en quelques sortes… Mais là, j'en demande trop… Aucun éditeur, sûrement, n'oserait prendre le risque.
Mais, vous l'avez compris, oui, j'adorerais faire du scénario.

14 Aimez-vous venir en séances de dédicaces ou souhaiteriez-vous un autre type de rencontre avec votre public ?

Les dédicaces ? … Me concernant, c'est dur ! Dur ! Je crains la foule et je déteste dessiner en public, je suis une espèce d'ours… Vous savez, mais je pense que nous le sommes tous dans cette profession, il faut être un peu "maso ", pour s'enfermer pendant des mois, accroché à une table à dessin, et créer des vignettes de 10 x10 cm de moyenne. Vous imaginez le choc, lors des déplacements en festivals, il faut une mise en condition pour affronter les aficionados des Petits Mickeys. Le pire des salons, pour moi, c'est ANGOULEME.
Je préfère me déplacer sur un petit festival, où nous pouvons discuter entre nous dessinateurs, nous retrouver autour d'une bonne table, mais également prendre le temps de bavarder avec le public, chiner parmi les bacs des bouquinistes.
Les dédicaces, oui ! Mais cool… Poussez pas, nous ne sommes pas des bœufs… Il est vrai que l'idée de passer commande pour avoir sa dédicace par l'intermédiaire de l'assoc' n'est pas mauvaise. Il me semble que l'adhérent aura droit à une superbe dédicace, puisqu'elle aura été faite au calme, en prenant son temps. Le seul problème est le manque de communication verbale entre le lecteur et l'auteur...
Pourquoi ne pas ouvrir un café dédicaces B.D. ? Après le café philo, le bistrot B.D., lieu de rencontre entre public et dessinateurs autour d'un verre, à l'heure de l'apéro, on bavarde, on discute des dernières parutions, on consulte la collection du patron, sur place uniquement…
Ce serait une bonne idée, non ? Mais c'est peut-être tout simplement utopique… Merci à tous.