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Interview de

Marc Bourgne

(2000)

Monsieur BOURGNE, bonjour.

1 Merci d'avoir accepté de participer à l'association FABBLE. Le public vous connaît surtout en tant que dessinateur actuel de la série "BARBE ROUGE". Quel effet cela fait de reprendre un personnage aussi mythique ?


Barbe Rouge est une série que je lisais gamin. D'autre part, CHARLIER comme HUBINON étaient deux de mes auteurs favoris… Aussi, reprendre l'une de leurs séries est quelque chose d'assez magique, et de compliqué à expliquer. D'ailleurs, je ne vais pas essayer ! Ceci dit, animer une série aussi mythique que Barbe Rouge représente aussi une grande responsabilité. N'oubliez pas que les 3 premiers albums DARGAUD, au début des années 60, étaient ASTERIX le Gaulois, l'École des Aigles (Tanguy) et le Démon des Caraïbes ! Barbe Rouge est né dans le N° 1 de Pilote en octobre 59… huit ans avant ma propre naissance !
Comment réagissent les inconditionnels de "BARBE ROUGE" à cette reprise ?
Jusqu'à présent, je n'ai eu connaissance d'aucune réaction négative. Au contraire, il semblerait que les inconditionnels retrouvent l'esprit du Barbe Rouge des origines… C'est du moins ce que me disent ceux que je vois lors des séances de dédicaces, ceux qui m'écrivent ou ceux qui m'envoient des e-mails (mes adresses :
bourgne@opalebd.com et http//:bourgne.free.fr ).

2 Comment s'effectue votre collaboration avec Christian PERRISSIN ? Vous donne-t-il beaucoup d'indications et directives avec son scénario ?

Il s'agit effectivement d'une vraie collaboration. Christian a mal vécu l'absence de communication avec REDONDO (qui dessine la jeunesse) ; celui-ci ne parlant pas français et habitant loin, en Espagne ! Christian et moi ne nous voyons peu souvent, mais nous utilisons beaucoup le téléphone, le fax et la Poste pour échanger idées, critiques et corrections à chaque étape de notre travail : synopsis, découpage, dialogues, croquis préparatoires, crayonnés. L'un comme l'autre avons le droit (et même le devoir) de critiquer, quand c'est dans le but est d'améliorer le résultat final.
Vous avez fait des études d'histoire, vous servent-elles pour la réalisation de vos albums ?
Non, sauf peut-être quand je fais des recherches en bibliothèque : je sais quoi chercher, et où. Barbe Rouge n'est pas une série historique, mais une série d'aventure. Christian et moi sommes d'avis qu'il serait vain de chercher à "boxer" dans la même catégorie que Patrice PELLERIN (ou BOURGEON) chez qui le moindre détail est historiquement exact. Notre univers est plus fantaisiste, dans la lignée de CHARLIER-HUBINON, et c'est une option délibérée.

3 Vous avez écrit un mémoire sur l'ALASKA, une bonne partie des aventures d'ANDY et FLO ("ETRE LIBRE") et l'histoire de "FRANK LINCOLN" se déroulent dans cet état des États-Unis. Êtes-vous passionné par l'ALASKA ? Y êtes vous déjà allé ?

Non, je n'ai jamais mis les pieds en ALASKA. Je crois que je préfère pour le moment continuer à rêver cette terre ("la Dernière Frontière"), ce que j'ai commencé à faire étant enfant, en lisant Jack London.

4 Utilisez-vous beaucoup de documentation lorsque vous réalisez un album ?

Oui, bien sûr. C'est d'autant plus indispensable que j'ai un dessin réaliste… Paradoxalement, je crois que j'utilise d'ailleurs plus de documentation pour FRANK LINCOLN que pour Barbe Rouge.

5 Vous avez participé à deux albums collectifs en hommage à UDERZO et à MORRIS, est-ce des auteurs qui vous ont influencé ?

UDERZO est un des génies de la BD française. C'est le seul auteur, à mon avis, qui ait autant excellé dans le dessin humoristique que dans le dessin réaliste. Les TANGUY d'UDERZO m'ont forcément influencé, plus que ses ASTERIX, bien sûr, puisque je fais du réalisme. MORRIS, lui, ne m'a pas influencé du tout, ce qui ne m'empêche pas d'admirer son travail… Même si l'homme me paraît assez antipathique !

6 Est-ce que votre entourage familial joue un rôle critique important vis-à-vis de vos travaux ?

Oui… Parce que l'avis d'un néophyte (je veux dire quelqu'un qui n'est pas auteur) est indispensable pour avoir la certitude que mes planches sont lisibles et compréhensibles par le plus grand nombre.

7 ANDY et FLO réapparaissent graphiquement dans "FRANK LINCOLN", est-ce un petit clin d'œil à "ETRE LIBRE" ?

FLO devenue strip-teaseuse, c'est un clin d'œil qui a choqué certains de mes amis, qui y ont vu un manque de respect de ma part pour mes propres personnages. Je crois qu'inconsciemment, j'avais besoin de "tuer" ANDY et FLO pour me libérer définitivement de Être libre. Ma première série fait partie de mon passé ; et je n'aime pas trop en dédicaces des albums lors de festivals... Non parce que j'en ai honte, loin de là, mais parce que c'est une page définitivement tournée, sans aucune nostalgie !

8 Dans "ETRE LIBRE", vous remerciez MICHEL BLANC-DUMONT à plusieurs reprises. Vous a- t- il aidé lorsque vous avez débuté ?

Ce n'est pas parce que je le connaissais que j'ai pu être "pistonné" chez DARGAUD, je n'ai fait sa connaissance qu'après avoir signé mon premier contrat. Il faut dire que c'est sa femme et coloriste, Claudine, qui a réalisé la mise en couleur de la première version de La Grande Terre.
Son travail n'a été publié que dans TRIOLO, un hebdo pour adolescents qui n'existe plus aujourd'hui. Pour la publication en album, j'ai souhaité remanier considérablement les dessins de La grande Terre... A tel point qu'il a fallu refaire entièrement la mise en couleur. Elle a été confiée, cette fois à Yves CHAGNAUD (le frère de Jean-Jacques, coloriste de Histoire de Monaco et Barbe Rouge). Pour en revenir à Michel, il m'a surtout beaucoup aidé pour Les Voleurs de chevaux, le 3ème Être Libre, dont l'action se déroule dans un ranch du TEXAS. Il faut dire qu'à l'époque, je n'étais jamais monté sur un cheval ! La majeure partie de la documentation que j'ai utilisée venait de la bibliothèque de Michel, grand connaisseur des Quarter-Horses.

9 Vous deviez reprendre la série "JONATHAN CARTLAND" que s'est-il passé ?

Michel étant devenu un ami, et appréciant mon travail - qui à l'époque de Être Libre se situait dans la lignée de son style - m'a demandé un jour si je voulais reprendre Cartland. Vous pensez si j'étais flatté et enthousiasmé par cette proposition. Mais passer derrière BLANC-DUMONT, quel challenge ! Cependant, j'aurais été prêt à le relever - et DARGAUD était partant - mais Laurence HARLE, la scénariste, n'a pas voulu de moi, pour des raisons que je comprends tout à fait. J'avais cependant déjà dessiné les deux premières planches de Novembre à Sand Creek, qui devait devenir le prochain Cartland, ainsi que quelques études de personnages que l'on peut voir sur mes sites Internet ("
opalebd" et "fabble").

10 Vous avez "passé" un projet à François PLISSON ("TAANOKI", paru cette année chez CASTERMAN). Pouvez-vous-nous en parler ?

En lisant les ouvrages autobiographiques de Jéromine PASTEUR, Chaveta et Selva sauvage, j'ai immédiatement pensé : "il faut en faire une adaptation BD ! ". J'ai dessiné deux planches d'essai, que j'ai envoyé à Jéromine, via son éditeur, accompagné d'un de mes albums ainsi qu'une lettre où je lui expliquais l'intérêt du projet. Elle m'a répondu qu'elle était très intéressée et j'ai commencé à travailler sur le découpage de ses bouquins. Ça a donné les synopsis de trois albums. Elle comme moi avons tout de suite senti qu'un récit purement autobiographique ne constituait pas un scénario de BD attractif ; il fallait lui injecter une bonne dose de fiction. Elle a alors écrit - et découpé - un excellent scénario intitulé Cubera et nous sommes allés proposer le projet à Didier CHRISTMANN, mon directeur littéraire chez DARGAUD.
Il a été convaincu, voire enthousiaste… Mais au moment de signer les contrats (je le vois encore, posés devant moi sur le bureau de CHRISTMANN), Jéromine a fait des manières. L'avenant relatif aux droits d'adaptation audiovisuelle ne lui convenait pas… Elle n'a pas voulu signer, et CHRISTMANN, fâché, a abandonné le projet. J'ai vaguement parlé de Cubera à Henri FILIPPINI (GLENAT) et à Claude GEMIGNANI (SOLEIL), qui n'ont pas été intéressés, et j'ai moi-même laissé tomber.
CHRISTMANN, lui, m'a proposé de reprendre Barbe Rouge. Peu après, j'ai rencontré François PLISSON dans un festival. Je savais qu'il n'avait pas de série en cours à ce moment-là, et je lui ai parlé de Jéromine et de Cubera. Il était tenté, aussi j'ai appelé Jéromine quelques jours après ; et ça a donné Taanoki chez CASTERMAN… Avec un scénario beaucoup moins bon, à mon avis, que celui de Cubera ; ce qui augmente d'autant plus mes regrets de n'avoir pas pu concrétiser ce projet sur lequel j'avais tant bossé. Mais je suis content pour François de lui avoir offert une opportunité de revenir dans la BD. Oserais-je le dire, pour conclure ? … Mais j'aurais apprécié que mon nom figure dans les remerciements de Taanoki, ce qui n'est pas le cas !

11 Comment travaillez-vous avec vos coloristes ? Faire vos propres couleurs ne vous tente-t-il pas ?

Je suis incapable de mettre en couleurs un album de BD. C'est un travail très sous-estimé car beaucoup plus difficile qu'on le croit. J'ai déjà eu 5 coloristes (en 8 albums seulement ! ) et j'en ai finalement trouvé deux qui conviennent bien à mon style de dessin et à ma façon de travailler : Jean-Jacques CHAGNAUD, qui colorise de façon traditionnelle Barbe Rouge et Bruno WESEL, qui colorise à l'ordinateur Frank Lincoln. Je leur donne à tous deux beaucoup d'indications, sur des photocopies, ainsi que des documents photographiques (surtout pour Lincoln) : je leur indique toutes les ombres, par exemple.

12 Souhaiteriez-vous écrire un scénario pour un autre dessinateur ?

J'aimerais beaucoup ça, mais aurais-je le temps ?
Peut-être passerai-je un jour le dessin de Frank Lincoln à un autre dessinateur, comme KRAEHN l'a fait pour Gil Saint André. Mais, il faudrait pour ça que la série marche bien, que je trouve le dessinateur adéquat, et que mon éditeur soit d'accord !
J'ai notamment dans mes tiroirs un projet pour une saga en 5 albums intitulée Le sentier de la Guerre, que je considère comme la meilleure histoire que j'ai jamais écrite… Mais c'est un western, genre passé de mode depuis longtemps.

13 Pourriez-vous nous dire un petit mot sur "OPALE BD", l'association qui s'occupe de votre site ?

C'est par l'intermédiaire de mon ami Franck BONNET (le dessinateur d'Attila mon amour) que j'ai fait la connaissance de Bruno LEMAITRE, qui s'occupe admirablement du site web d'Opale BD. Je lui ai envoyé un maximum de documents, qu'il a mis en page pour constituer mon premier site. L'adresse en est <
www.opalebd/bourgne.com> .
Très régulièrement, je lui envoie de nouveaux éléments, ce qui lui permet de mettre à jour mon site et de maintenir celui-ci en vie. Je suis très reconnaissant à Bruno de son travail, d'autant que celui-ci est bénévole ! Opale BD organise en outre un festival très sympa, celui de Calais.
L'association FABBLE a également effectué un lien avec votre site sur "OPALE BD" mais ce n'est pas que pour ces raisons que nous vous comptons parmi nos auteurs-parrains.


14 Qu'est ce qui vous a séduit de travailler avec nous ?

Je vous ai trouvés sympa !

15 Vous avez toujours été publié chez "DARGAUD", hors votre nouvelle série "FRANK LINCOLN" sort aux Éditions GLENAT. Pour quelles raisons ?

C'est une mauvaise idée, de faire deux séries chez le même éditeur. Michel BLANC-DUMONT a essayé chez DARGAUD, Félix MEYNET également. A l'un comme à l'autre, on a demandé d'arrêter celle de leurs deux séries qui se vendait le moins ; et qui était évidemment leur préférée ! En travaillant avec deux éditeurs, on les met en concurrence… Et puis mon idée, en créant une seconde série, était d'éviter la monotonie et d'élargir mes horizons et mon public : il me paraissait évident que je devais changer de scénariste, de coloriste, d'éditeur… Les époques aussi sont différentes (le XVIII ème pour Barbe Rouge, la période contemporaine pour Lincoln). J'ai essayé également de changer de style de dessin. J'espère que ça se voit ! Comparez notamment les mises en page et l'encrage…

16 En combien de tomes est prévue cette série ?

Minimum : 3 ; maximum : plusieurs dizaines ! Si la série marche bien, ce qui semble être le cas, je ne l'arrêterai que lorsque je m'en serai lassé.
Avec ses séries en cours, avez-vous déjà des idées pour vos futurs projets ?
Barbe Rouge et Lincoln me comblent tout à fait, pour le moment. J'ai quelques projets dans mes tiroirs, qui verront peut-être le jour dans le futur… Mais je n'éprouve aucune frustration à les laisser en hibernation. Il faut dire que j'ai de quoi me distraire avec la publicité (je dessine actuellement une série de mini-albums pour Michelin) et l'illustration (collection Z'AZIMUT chez FLEURUS, à laquelle collaborent également quelques bons copains : Dominique ROUSSEAU, Bruno BAZILE… Et même Michel BLANC-DUMONT depuis peu).

17 Les séances de dédicaces sont devenues depuis, quelques années, quasiment incontournables pour la promotion lors de la sortie d'un album. Comment appréhendez-vous cet exercice de style ?

Ce n'est pas un sentiment très courant chez les dessinateurs, mais j'aime beaucoup ça ! Comme le dit Tonio PARRAS, c'est un excellent exercice pour un dessinateur car on doit faire vite et bien sans trop réfléchir. De plus, c'est le seul moyen que nous avons de promotionner nos albums et de rencontrer nos lecteurs. Les auteurs qui détestent cet exercice mais le font quand même (et qui en plus médisent ou se moquent des lecteurs prêts à attendre des heures pour une dédicace) m'agacent prodigieusement. Quand je faisais Être Libre, j'avais de toute petites files d'attente (voire pas de file du tout !) et j'enviais les auteurs pour qui les séances de dédicace étaient des marathons. Maintenant, quand j'arrive dans une librairie pour signer mes albums, je suis épaté et flatté de voir une longue file d'attente… C'est un encouragement pour moi, et j'en remercie ceux qui ont la patience et la gentillesse d'attendre une dédicace pendant parfois plusieurs heures.